Tout commence quand arrive au studio de postsynchronisation l'œuvre étrangère, accompagnée du script original. Cassette vidéo pour un produit télé, ou pellicule 35 mm pour un film de cinéma, elle possède une particularité de taille : deux bandes sonores. Si la première est celle qu'ont entendue les spectateurs du pays d'origine, la seconde est dépouillée de tout dialogue. Elle ne comprend que les bruitages et la musique. Ceux-ci serviront à habiller la future version française, qu'il s'agit maintenant d'écrire !
Pour cela, série, dessin animé ou long-métrage sont d'abord visionnés par un premier technicien, le détecteur. Celui-ci va retranscrire, en s'appuyant également sur le script, la totalité des dialogues sur une longue bande opaque, au format d'une pellicule de cinéma : la "bande-mère". Calée sur la toute première image de l'œuvre originale, elle se déroulera, comme du ruban adhésif, jusqu'au générique de fin. Pour un Simpson d'une vingtaine de minutes, c'est sur des mètres et des mètres de bande-mère que se succèdent les dialogues anglais. Et pas n'importe comment : le détecteur se doit en effet de respecter le rythme de prononciation des personnages, mais aussi leur ouverture et fermeture de bouche. Ainsi, lorsque bande-mère et épisode démarrent simultanément, une phrase apparaîtra sur la bande au moment précis où elle sera dite à l'image par le personnage.
L'autre difficulté majeure, c'est d'adapter le ton de l'oeuvre originale, sans en dénaturer l'esprit. Et tout ça avec rythme, s'il vous plaît, puisque les dialogues sont destinés à être joués par des acteurs ! Le temps de ce travail est donc très variable : si certains longs-métrages peuvent être bouclés en un peu plus d'une semaine, un épisode des Simpson représente cinq journées entières de remue-méninges pour Juliette Vigouroux et Alain Cassard. Quand ils sont enfin arrivés au bout de leur tâche, les adaptateurs retranscrivent les dialogues français sur la bande-mère, au-dessus de la version anglaise. Les indications de la bande-mère, sans toutefois les dialogues anglais, sont ensuite reproduites sur un nouveau ruban, de même format mais cette fois transparent, la bande-rythmo". C'est elle qui sert pour la séance de doublage, maintenant imminente.
Pour les Simpson, ça se passe en région parisienne, à l'Européenne de doublage (ndlr : elle a été depuis remplacée par la SOFI). Debout dans une salle d'enregistrement, le comédien Philippe Peythieu, interprète d'Homer, est devant le micro destiné à enregistrer sa voix. Il fait face à un grand écran, sur lequel se déroule l'épisode du jour. Sous l'image défile, parfaitement synchronisé à l'épisode, la projection de la bande rythmo. Une projection coupée sur la gauche d'une barre verticale : c'est quand la phrase portée par la bande rythmo, venue de la droite, heurte ctte barre que Philippe Peythieu devra la prononcer. Pour l'heure, il n'a rien à dire. Car sur l'écran, Homer, chevauchant une rutilante moto, est muet. Mais le voilà stoppé au feu rouge, à hauteur de la voiture du policier Wiggum, qu'il se met à insulter copieusement. Au moment précis où la réplique heurte la barre verticale, Philippe Peythieu s'élance : "Tu peux rien contre nous, mon cochon, on dépasse pas les limitations de vitesse... Gruik, gruik, gruik ! ..."
"Pas moins d'une vingtaine d'acteurs ont été auditionnés pour chacun des quatre rôles", se souvient Christian Dura. Un casting sévère auquel doivent se plier tous les comédiens au début d'un doublage. Pour cette série, les heureux élus furent le susnommé Philippe Peythieu, Véronique Augereau pour Marge, qui, pour la petite histoire, forme aussi à la ville un couple avec Peythieu, Aurélia Bruno pour Lisa et Joëlle Guigui (oui, c'est une fille) pour Bart. Des comédiens qui, vous l'imaginez, n'ont pas, dans la vie, la voix couinante de leurs héros : Joëlle Guigui a fait pendant quatre ans l'habillage de la station de radio RTL2, c'est dire que sa voix peut prendre des contours d'une suavité totalement étrangère à celle de Bart Simpson.
Dans une semaine, ce sont les comédiens titulaires des
seconds rôles qui viendront enregistrer leurs répliques,
et les dialogues français seront fin prêts. Il
ne restera plus qu'à les "mélanger"
avec la musique et les bruitages. Cette opération, le
mixage, assez longue pour un long-métrage garni d'effets
sonores, est l'affaire de deux heures pour un ingénieur
habitué aux péripéties des Simpson. Les
épisodes seront quasiment parés pour la diffusion,
nantis d'une version française qui n'aura pas à
rougir de la comparaison avec son homologue américain.
Grâce à un travail nickel d'adaptation et à
la fougue des comédiens. "C'est que le doublage,
explique Christian Dura, ce n'est pas juste une voix posée
sur de l'image. C'est un véritable travail de composition,
où les acteurs doivent totalement se fondre dans la peau
de leur personnage." Même lorsqu'ils ont les yeux
globuleux et les cheveux bleus.
Article de Olivier Lascar paru dans le "Science et Vie
Junior" (Août 2000)
Crédit photos : Hervé Mouyal, Heub et Marc Chaumeil