The Simpsons Park : Bonjour.
Pourriez-vous nous expliquer le parcours qui vous a menée
au doublage ?
Véronique Augereau : J'ai toujours
voulu être comédienne. Comme il n'y avait
pas de Conservatoire d'art dramatique à Angers
- entre la seconde et la terminale -, j'ai commencé
par prendre des cours de diction. Au concours de fin d'année,
un professeur du Conservatoire de Rouen était présent
; il m'a proposé de rentrer directement au Conservatoire
de Rouen, sans avoir à passer de concours. Je me suis
installée à Paris (parce que mes parents possédaient
un pied à terre) et j'ai fait des allers-retours
entre Paris et Rouen pendant deux ans. J'ai obtenu la
médaille d'or. Elle m'a été
décernée par Daniel Vol et Pierre Debauche, un
professeur du conservatoire de Paris. Ensuite, il a fallu que
je fasse mon petit bonhomme de chemin toute seule ; je me suis
inscrite au cours Florent. Là, j'ai rencontré
deux hommes extraordinaires : Florent, que je considère
comme quelqu'un de très bien qui m'a prouvé
qu'on pouvait être une bête de scène
et Yves Lemoigne pour qui le jeu été beaucoup
plus intérieur. Puis, j'ai passé le Conservatoire
que je n'ai pas eu, alors je me suis inscrite à la rue
Blanche. Voilà, par la suite j'ai joué un
peu au théâtre Tristan Bernard à Paris et
puis comme les temps étaient un peu durs, j'ai
décidé, au début des années 80,
d'aller à l'étranger pendant deux
ans environ ; ce n'était pas le Club Med mais des
petites structures où on me demandait de faire des petits
spectacles en soirée. En revenant à Paris, je
me suis donnée un an pour réussir et ça
à payé puisque je suis remontée sur les
planches et cela ne m'a plus quitté. J'ai
d'ailleurs même fait de la radio avec Perrette Souplex
sur Radio Chansons Françaises (ndlr : la fille de Raymond
Souplex, l'acteur qui a joué dans "Les 5 dernières
minutes"). Les relations que j'avais avant au niveau
théâtral m'ont proposé de faire de
la synchro. J'ai commencé par le B-A BA, sur les
bancs de l'école en synchro à faire des
tous petits rôles. J'ai rencontré ensuite
une femme extraordinaire qui s'appelle Jenny Gerard et
qui, petit à petit, m'a donné des rôles
plus importants. J'ai profité de l'arrivée
de La Cinq car elle cherchait beaucoup de comédiens pour
doubler les nouvelles séries ; après la chute
de la chaîne j'ai eu la chance de rester dans le
circuit parce qu'il y en a beaucoup pour qui tout s'est
arrêté. Depuis les choses marchent plutôt
pas mal pour moi, en synchro.
TSP : Justement. On
ne connaît de vous que votre travail sur le doublage.
Est-ce que vous êtes sollicitée pour des films
ou du théâtre ?
VA : J'ai fait un choix : j'ai
préféré élever ma fille, la voir
évoluer, plutôt que de m'engager dans des
projets un peu galères, mais depuis quelques années
j'ai repris le théâtre.
TSP : Quelles ont
été vos premières impressions lors de votre
rencontre avec Les Simpson ?
VA : Jenny Gérard m'a proposé
le casting en fin de parcours parce que j'étais
encore à mes débuts. Lorsque je suis arrivée,
il y avait toute l'équipe américaine avec
Christian Dura, notre actuel directeur de plateau. Contrairement
à Philippe (ndlr : Philippe Peythieu, qui est son mari
dans la vie) qui avait fait l'essai sur la version espagnol,
moi je l'ai fait sur la version américaine. Je
me suis basé sur la voix américaine parce qu'on
m'avait bien dit qu'il fallait que je me calque
sur la voix originale. J'avoue que j'étais
quand même étonnée de voir autant de monde
pour des personnages si moches ; ça dépassait
presque l'entendement, c'était trop. (rires)
Cela dit, on se rend compte aujourd'hui, après
16 ans, que c'est toujours aussi bien ; que les scénario
sont toujours aussi bons et que c'est une série
culte. Cependant, ils m'ont demandé si j'allais
tenir la route avec cette voix d'aspirateur déglingué,
dixit un journaliste. Etant donné que je voulais obtenir
le rôle j'ai répondu "Bien sûr."
(rires) Le premier épisode a ensuite été
enregistré huit ou neuf mois après.
TSP : Est-ce que vous
pensiez que la série connaîtrait un tel succès
?
VA : Absolument pas. C'était impensable.
TSP : Votre voix est
celle qui se rapproche le plus de la version originale. Pourtant
c'est une voix très particulière. Comment l'avez-vous
"trouvée"?
VA : Tout simplement en l'écoutant.
D'ailleurs c'est toujours ce que l'on fait,
que ce soit pour un film ou un dessin animé, surtout
quand on nous demande d'être au plus près
de la voix originale.
TSP : Une telle voix
doit vous demander une très bonne forme vocale ?
VA : Quand je rentre chez moi après
une journée de Simpson, ma voix est descendue de deux
octaves ! Elle est fatigante, c'est une voix de gorge
qui joue sur les cordes vocales. Je ne vais pas me plaindre,
en 15 saisons, j'ai peut-être été
trois fois aphone parce que j'ai forcé. Pourquoi
? Parce qu'il y a certains matins où on ne la trouve
pas !
TSP : Est-ce qu'elle
vous demande un exercice particulier ?
VA : Oui, je m'amuse à faire des
grognements.
TSP : Vous avez été
choisie pour donner vie à Marge mais aussi à ses
sœurs et sa mère. De quel personnage vous sentez-vous
le plus proche ?
VA : De Marge forcément. D'abord
parce que c'est une petite mère de famille puis
parce qu'elle est très humaine, très proche
de ses enfants. Là où elle force mon admiration,
c'est qu'elle ferait tout pour son mari qu'elle
admire, malgré son côté beauf.
TSP : Le personnage
de Marge a bien évolué. Au début elle était
juste un personnage de second plan alors qu'aujourd'hui c'est
un personnage à part entière. Pensez-vous que
son personnage a évolué avec la société
?
VA : Je trouve que le personnage a évolué
parce qu'elle s'est un peu libérée.
Elle est moins à la maison et puis elle ose maintenant
s'aventurer dans des histoires qui paraissaient avant
impossibles parce qu'elle faisait trop mère au
foyer ; c'était la tête pensante de la famille,
mise à part la petite Lisa, maintenant elle se permet
d'avoir des idées un peu loufoques, comme si le
personnage d'Homer ou de Bart déteignaient un peu
sur elle.
TSP : Eh vous pensez
que ces changements sont dus en partie aux évolutions
de notre société ?
VA : Oui, sans aucun doute. L'équipe
de scénaristes et Matt Groening se sont aussi libérés.
TSP : Je ne sais pas
si vous êtes au courant mais dans un épisode de
la dernière saison (ndlr : There's
something about marrying), Patty fait son coming out. Marge
qui est pourtant pour les mariages gay, a du mal à accepter
que sa sœur veuille se marier avec une femme. Est-ce que
sa réaction vous étonne ?
VA : D'abord, je suis sûre que
ça s'arrange. Dans ce cas de figure, combien de
parents ou de proches acceptent systématiquement que
son fils ou sa fille soit homo ? C'est difficile quand
même pour des parents. C'est une remise en question
totale et je pense que Marge, qui a la tête sur les épaule,
gère un peu la vie de ses sœurs et que quelque part
il y a forcément une remise en question sur elle-même,
sur ses relations avec elles : Est-ce qu'elle a bien agi
? Est-ce qu'elle les a bien guidées ? Est-ce qu'elle
les a assez soutenues ? Je pense que c'est, entre guillemets,
une première réaction normale. C'est l'instinct
qui veut ça. On réagit d'une façon
un peu négative et puis après, en réfléchissant,
en discutant et en dialoguant, on arrive un peu à comprendre
et à se faire à cette idée.
TSP : Est-ce que le
coming out de Patty vous surprend ?
VA : Oui, parce qu'elle était
plutôt une bonne chercheuse de mecs. (rires)
TSP : Quel est votre
regard sur l'évolution de la série ?
VA : Après plus de 300 épisodes,
je les trouve toujours aussi bons. Il y en a que j'aime
moins notamment les "Spécial Halloween" ; j'aime
néanmoins certaines séquences. Je préfère
les épisodes qui ont pour thème la cellule familiale.
Certains sont cruels, mais ils sont toujours aussi efficaces.
C'est une série qui ne s'essouffle pas au
niveau des scénarii et je trouve ça exceptionnel.
TSP : Les Simpson
sont une critique acide de la société américaine.
Selon vous, cette critique a-t-elle des frontières ?
VA : à mon avis, chacun s'y retrouve
dans au moins un personnage et c'est valable autant pour les
petits que pour les grands. Les sujets sont universels et dépassent
évidemment les frontières. Dans le cas contraire,
la série n'aurait pas connu ce succès.
TSP : Est-ce que Marge
influe sur votre vie de tous les jours ?
VA : Non.
TSP : Avez-vous des
épisodes favoris ?
VA : Je n'ai pas comme vous la mémoire
des seize années passées mais il y en a un qui
m'a bien plu dernièrement : celui où elle
a recours à la chirurgie esthétique, opération
après laquelle elle se retrouve avec des gros seins (ndlr
: il s'agit de l'épisode La nouvelle Marge
- s14).
TSP : Y a t-il une
actrice que vous êtes particulièrement fière
de doubler ?
VA : Oui. Je suis fière de Jamie Lee
Curtis, de René Russo, de Linda Hamilton et Leslie Hope
que je double maintenant tout le temps (systématiquement
depuis "24 heures chrono"). C'est une femme
remarquable, d'une grande humilité.
TSP : Vous êtes
officiellement leur voix ?
VA : Normalement oui, sauf pour Jamie Lee Curtis.
ça dépend beaucoup des clients. On est seulement
propriétaire de notre voix ! Rien n'est acquis.
Par exemple, Kim Delaney (ndlr : elle joue dans "NYPD Blue"),
est une actrice que je double pratiquement tout le temps pourtant
une petite chaîne comme 13ème Rue a décidé
que ce ne serait pas moi.
TSP : Auriez-vous
aimé doubler une actrice en particulier ?
VA : Il y en a plein, parce que je les admire
beaucoup. Des femmes aussi intenses que Meryl Streep par exemple.
C'est une femme qui a un vécu, elle est donc par
définition très intéressante à travailler.
TSP : étant
fan de la série "The Shield", j'ai remarqué
que vous doubliez le personnage de Danny. Que pensez-vous de
cette série choc ?
VA : Pour moi elle est trop "choc".
Par contre, cela ne l'empêche pas d'être une série
très bien doublée et interprétée
notamment par le rôle principal qui est Patrick Floersheim.
Elle est très intense. José Luccioni (ndlr : le
directeur de plateau) m'a confiée une fois qu'il
ne pouvait malheureusement pas se permettre de mettre sur un
petit rôle quelqu'un qui débute parce que
les rôles sont souvent très durs. En effet, chacun
des personnages est bien dessiné et c'est pourquoi j'aime
cette série que je trouve très intéressante.
J'avoue cependant que j'évite de regarder les scènes
violentes. Je préfère ne pas rester à l'enregistrement
si mon personnage ne figure pas dans les scènes à
doubler.
TSP : Quelle est votre
actualité ?
VA : Je viens de doubler Leslie Hope dans une
toute nouvelle série pour Canal+ qui s'appelle
"Line of Fire". Sinon, j'ai également
quelques projets au théâtre. Il est prévu
que l'on monte "Le bourgeois gentilhomme" et que je
joue le rôle de Nicole. Par ailleurs, j'ai fais
des lectures de pièces dont une qui a été
écrite par le frère de Philippe et qu'on
a présenté à la SACD (Société
des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), et une autre au théâtre
Mouffetard qui s'appelle "Le dernier homme"
du comédien Tony Joudrier.
» Cette interview a été réalisée
par Neotheone
le 14 mars 2005.