The Simpsons Park : Juliette
et Alain bonjour, on vous connaît beaucoup pour les
Simpson, mais pouvez-vous nous résumer votre carrière ?
Comment êtes vous arrivés dans le métier
et qu'avez-vous fait avant la série ?
Juliette Vigouroux : J'étais attachée
de presse de théâtre et j'ai eu à m'occuper
d'une pièce mise en scène par Michel Gast qui
avait, par ailleurs une grosse boîte de doublage avec
Jenny Gérard qui est une grande directrice de plateau.
J'en avais marre d'être attachée de presse, qui
est un travail très ingrat et comme j'aimais le cinéma
et l'écriture j'ai demandé à Michel Gast
si je pouvais faire un essai dans l'adaptation de dialogues
avec Alain, mon mari.
Alain travaillait dans le tourisme de luxe et faisait
visiter l'Europe à des clients américains. La
culture américaine lui était plus familière
qu'à moi et c'était un plus. On s'est donc lancé sur
une obscure série « Hôtel » ce
qui nous a permis de nous faire la main et apprendre les techniques
de l'adaptation. Ensuite, on nous a confié des
choses plus difficiles comme la série M*A*S*H et
très vite des films (des petits puis des grands , notamment
plusieurs « Palme d'or » comme La
Leçon de Piano ou Underground).
TSP : Comment en êtes-vous
arrivée aux Simpson et quelles ont été vos
premières impressions sur ce dessin animé ?
JV : C'est PM productions, la société qui
nous avait donné notre chance dans le doublage,qui nous
a confié la série qui, au départ, nous
a été présentée comme un dessin
animé pour enfants, nous avions donc une interdiction
totale de la part de Canal+ d'utiliser des grossièretés.
Alain Cassard : à l'époque, un Américain
de la Fox était chargé de superviser nos textes
mais ce n'est plus le cas aujourd'hui, nous avons une plus
grande liberté et ne sommes plus obligé d'édulcorer
nos dialogues.
Le paradoxe c'est que les Simpson soient diffusés sur
la Fox, la chaîne réac par excellence.
JV : Le superviseur s'occupait aussi de la version
allemande, italienne etc. mais il nous a toujours dit que la
VF était la meilleure, tant au niveau des dialogues
que des acteurs qui doublent.
TSP : Pouvez-vous nous
expliquer plus précisément en quoi consiste
votre métier ?
JV : Nous recevons, au coup par coup pour chaque épisode,
une cassette VHS tirée du « master » original,
qui nous est transmise par la SOFI, la boîte de doublage,
ainsi que le script de l'épisode que l'on nous envoie
par e-mail.
Avant que nous intervenions, il y a toute une étape
de « détection » faite par une
autre personne que l'on appelle le détecteur, qui consiste à écrire
toutes les répliques en anglais sur une bande vierge
appelée bande rythmo, de façon à ce qu'elles
soient synchrones avec l'image avec un système de « time
code ». Nous écrivons ensuite nos répliques
en français sur la même bande en dessous de celles
en anglais.
AC : Après le détecteur et l'adaptateur
intervient une troisième personne que l'on appelle le
calligraphe qui reproduit le texte français sur une
nouvelle bande transparente en belle calligraphie de façon à ce
que les comédiens puissent la lire en même temps
qu'ils regardent l'image à l'écran dans le studio
d'enregistrement.
TSP : Combien de temps
prend l'adaptation d'un épisode ?
JV : S'il n'y a pas de chansons à adapter
on met un minimum de 5 jours par épisode.
AC : Et ce ne sont pas des journées
de 6 ou 8 heures mais bien souvent des journées de 12
heures.
TSP : Comment
vous vous repartissez le travail entre vous ?
JV : Pour les films nous écrivons toujours à deux.
Pour les Simpson nous faisons nos épisodes séparément
mais nous faisons quand même lire notre travail à l'autre.
Nous nous répartissons les épisodes au hasard,
parfois en tirant au sort !
AC : Je laisse ceux avec des chansons à Juliette,
car elle aime bien en écrire et moi je déteste ça
(rires)
TSP : Regardez vous les épisodes
dès leur diffusion aux USA pour savoir a quoi vous
attendre et suivez vous la série quand elle
est diffusée en France ?
JV : Non, nous les découvrons lorsque nous
les recevons.Et nous ne les regardons pas tous sur Canal, faute
de temps.
TSP : Parfois des personnages
qui n'apparaissent que très peu ont un nom différent
lorsqu'ils réapparaissent parfois des années
plus tard dans un autre épisode. Par exemple, la femme
de Ned de Las Vegas s'appelle Ginger dans Fiesta à Las
Vegas (saison 10), alors que dans Un homme et deux
femmes (saison 13), elle s'appelle Gloria. Ou bien encore
Sanjay le frère d'Apu s'appelle tour à tour
en VF Mouloud, Sanchez et enfin Sanjay dans les épisodes
plus récents. Avez-vous des notes pour vous aider à vous
souvenir de certaines choses ? Etes vous devenus plus intransigeants
sur la continuité de la série en voyant son succès
et le nombre de fans grandissant au fil des ans ?
JV : Nous ne nous souvenons pas de tous les épisodes,
nous finissons toujours par les oublier et c'est un peu normal.
AC : Concernant Apu , la première fois qu'il
est apparu dans un épisode, personne ne savait qu'il
serait un personnage récurrent et donc, que le fait
qu'il soit Indien deviendrait évident et important.
Comme l'accent indien ou pakistanais n'est peut-être
pas facile à imiter, sur le plateau d'enregistrement
ils lui ont donné un accent portugais.
JV : Le nom Mouloud ou Sanchez ne vient certainement
pas de nous. Il s'agit d'un changement sur le plateau. De plus,
nous essayons de ne jamais changer les noms originaux car nous
craignons toujours que leur nom apparaisse à l'écran, écrit
sur un T-shirt par exemple.
TSP : Pourquoi les comédiens
sur le plateau prennent ils alors cette liberté ?
JV : Il faut le leur demander !
TSP : Quelle est la difficulté principale
de votre travail ?Y a t'il des parties plus difficiles à adapter
que d'autres ? Notamment les chansons.
Pourquoi certaines sont elles traduites alors que d'autres
restent en Anglais sous titrées ?
AC : La difficulté principale réside
dans la synchronisation des dialogues, nous avons la contrainte
de la longueur des phrases qui ont en plus un rythme différent
en Anglais et en Français. C'est une chose de bien comprendre
le sens, de trouver l'équivalent en français,
c'en est une autre de faire coller la phrase aux mouvements
de la bouche et à la longueur. A cela vient s'ajouter
le fait qu'on nous laisse souvent très
peu de temps pour écrire les épisodes ou les
films ce qui nous oblige à travailler dans l'urgence.
Les Simpson sont sans aucun doute ce que nous avons de plus
dur à adapter.
JV : Une autre difficulté réside
dans les « inserts » (ndlr : les
textes en incrustation des panneaux de l'église par
exemple). Canal+ exige que l'on sous-titre tout mais il n'y
a parfois pas assez de temps de lecture et il est très
difficile de rendre les blagues en si peu de mots. Pour les
chansons, quand il s'agit de quelque chose de connu, il est
hors de question d'y toucher, elle sera seulement sous-titrée
si on juge que les paroles ont un sens dans la scène.
Normalement la musique est sur une piste audio séparée
pour pouvoir être doublée mais il est déjà arrivé que
cela ne soit pas le cas et que les paroles soient sur la même
piste ce qui explique que certaines chansons créées
pour la série soient restées en anglais dans
la VF.
AC : Nous faisons parfois aussi appel à une
amie américaine de Los Angeles pour comprendre le sens
de certaines plaisanteries obscures que parfois même
elle a du mal à comprendre. Il s'agit bien souvent d' « inside
jokes » de la part des scénaristes.
TSP : Etes vous totalement
libres de modifier complètement un gag s'il ne se
prête pas à une traduction ?
JV : Bien sûr et c'est là la grande
difficulté des Simpson. Quand il y a des jeux de mots
ou des allusions à des produits , des marques, ou des
choses qui se sont passées entre des personnalités
totalement inconnues en France, il faut adapter sans
jamais tomber dans le franchouillard, jamais faire d'allusions à des
choses françaises mais toujours à quelque chose
de connu internationalement, car, même si c'est doublé en
français, le contexte est américain. (ndlr :
ce ne sont pas eux qui sont responsables des noms Loana, Danièle
Gilbert, Mamie Nova etc. mentionnés dans certains épisodes,
il s'agit de modifications apportées par les comédiens
lors de l'enregistrement)
TSP : Intervenez vous
sur les sous titres des DVD ?
JV : Non pas du tout. (ndlr : ce sont d'autres
traducteurs qui s'occupent de ces sous- titres, ce qui explique
les différences dans les textes en incrustation)
TSP : Avez-vous déjà reçu
le script du film et si oui pouvez vous nous en dire deux
mots ?
AC : Non pas encore, nous le recevrons probablement
au dernier moment comme c'est souvent le cas malheureusement.
Nous avons simplement écrit des scènes avec des
personnages qui n'existent pas dans la série pour que
des acteurs fassent des essais afin de choisir les voix françaises
de ces personnages.
TSP : Lors de vos adaptations
de films, vous recevez le scénario avant même
la sortie mondiale du film, vous êtes ainsi détenteurs
du scénario complet avant tout le monde. Cela représente
t'il une pression particulière ?
JV : La pression ne vient pas de là. C'est de
travailler dans l'urgence qui est pénible, ne jamais
pouvoir laisser reposer son travail et revenir dessus avec
un esprit frais, comme pour tout travail d'écriture.
Les Américains travaillent souvent sur le montage d'un
film jusqu'à une date très proche de sa sortie.
Or s'il sort en France le même jour, il reste très
peu de temps pour le détecter, écrire les dialogues,
le doubler, le mixer etc.. .Sans compter que nous avons souvent
des versions provisoires et qu'il faut remanier nos textes
au fur et à mesure des changements de montages, et ce,
jusqu'à la version définitive.
TSP : Et pour finir à part
les Simpson sur quoi travaillez vous en ce moment ?
JV : Hormis Les Simpson, nous ne travaillons pas du
tout pour la télé.
Nous venons de finir le film « 300 » tirée
d'une bande dessinée. Nous travaillerons ensuite sur
le prochain film d'Harry Potter et bien entendu sur le long
métrage des Simpson, les 2 films sortent avec seulement
deux semaines d'intervalle. Beaucoup de travail en perspective
donc.
» Cliquez ici pour télécharger
une petite vidéo (13 Mo - .mov) de Juliette Vigouroux
nous expliquant, exemple à l'appui, les difficultés
de leur métier
sur l'épisode Jazzy and The Pussycats.
» Cette interview a été réalisée
par l'équipe
de TSP le 03 février 2007 à Paris.